INDEXATIONS ET TAKE-OR-PAY : LE GRAND MONOPOLY DES PRIX DU GAZ

Alain BOURGEOIS

Vice-President Natural Gas & LNG

BERGEN ENERGI AS

 

Les prix du gaz sont supposés dirigés par les équilibres de l’offre et de la demande au niveau local sur les différents hubs européens. Ils pourraient à l’avenir résulter principalement des grands équilibres mondiaux et des flux inter-régionaux.

Deux éléments y joueront un rôle prépondérant : le mode de fixation des prix dans les contrats de long terme existants et à venir d’une part (en Europe comme en Asie) ; le développement des marchés spot pour le gaz naturel liquéfié (GNL flexible) d’autre part.

 

Prix du gaz : décorrélation progressive du pétrole et interdépendance croissante des marchés mondiaux

La dynamique d’évolution du marché du gaz en Europe est de plus en plus distincte de celle du pétrole comme en témoigne la baisse engagée des prix spot du gaz au premier semestre 2014, bien avant celle du pétrole apparue au dernier trimestre 2014.

Certains hubs européens ont par ailleurs déjà expérimenté le rôle primordial des approvisionnements en GNL et la concurrence de l’Asie comme facteurs de détermination des prix. S’il reste prématuré de parler de globalisation des prix du gaz, leur interdépendance est dorénavant majeure et pourrait devenir le principal facteur d’évolution des niveaux de prix moyens en base annuelle, devant même les signaux d’offre et demande locales. Les transformations amorcées dans le marché mondial du GNL deviennent ainsi un élément primordial de compréhension du fonctionnement du marché du gaz en Europe, sur les différents hubs.

A ce jour, le GNL reste largement commercialisé dans le cadre de contrats de moyen et long terme, pour l’essentiel sur base de prix indexés pétrole. Ainsi, la valeur à terme du gaz semble encore dirigée en premier lieu par l’évolution des prix du pétrole, amenant un élément perturbateur dans le fonctionnement des marchés du gaz. Mais la part croissante des livraisons flexibles de GNL (arbitrage + surplus) devrait favoriser le développement d’un marché spot plus significatif et fiable. Et la création par la suite de contrats à terme physiques ou financiers.

 

Par ailleurs, la chute brutale des prix du pétrole depuis octobre 2014 invalide les arguments des acteurs gaziers qui continuent à défendre les indexations pétrole comme élément de stabilisation et contrôle des prix du gaz pour permettre le financement de nouveaux projets de production. Car au niveau des prix actuels 7 à 8 $/MBtu, les prix de long terme indexés pétrole n‘apportent pas de protection par rapport aux prix spot du GNL. Nombre de nouveaux projets de production sont gelés ou n’obtiendront pas de décision finale d’investissement (FID).

 

Bulle de GNL en formation : la perspective d’une baisse des prix ?

Pour autant, de nombreux projets australiens déjà décidés depuis 2009 (85 Bcm) arrivent en production, auxquels il convient d’ajouter les projets d’exportation de gaz nord-américain (77 Bcm déjà au stade FID – c.f. figure 4.18). Ces nouveaux volumes produits trouveront difficilement preneur car la prévision de demande en Asie a été revue considérablement : notamment en Chine avec une baisse de la demande prévisionnelle de l’ordre de – 100 Bcm à l’horizon 2020 conduisant à la sur-contractualisation de ses imports de GNL en 2015-2016 (+ 25 Bcm cumulé), une très grande incertitude en Corée, le redémarrage possible du nucléaire au Japon, la très faible part de marché du gaz en Inde, etc…

 

 

Observant le très faible taux actuel d’utilisation des capacités d’importation en Europe (< 20% hors Turquie,  imports bruts réduits à 41 Bcm en 2014 pour une capacité de plus de 200 Bcm), les producteurs et traders comptent dorénavant sur l’Europe comme marché de dernier recours pour absorber les volumes qui seront produits en excès.

 

 

L’Europe a-t-elle le potentiel pour absorber ces nouveaux volumes en complément du GNL déjà contractualisé ? Sachant que ces dernières années la demande européenne se situe à un niveau proche des engagements de volume des contrats d’approvisionnement par pipeline ; ou juste au dessus suite à la renégociation à la baisse des take or pay, avec Gazprom notamment. Malgré la baisse de la production locale, les européens pourraient avoir déjà sur-contractualisé leurs importations de long terme, avec des contrats qui courent au-delà de 2020 (ACQ ~ 175 Bcm – ToP ~ 120 Bcm), voire jusqu’en 2030 (ACQ ~ 120 Bcm – ToP ~ 80 Bcm).

 

 

La perspective de reprise de la demande en Europe reste par ailleurs très mitigée compte tenu de différents facteurs : faible croissance économique ; plus grande efficience énergétique ; baisse de la demande des industries gazo-intensives (c.f. figure 2.8) ; gaz qui reste largement hors marché dans le production d’électricité (hormis UK) ; trop faible développement de la demande de gaz comme carburant dans les transports maritime et terrestre (pas de croissance significative avant 2020).

 

 

Source : AIE – Medium Term Gas Market Report 2015

 

Ainsi, des fenêtres de prix encore plus bas se dessinent pour les 5 prochaines années. Elles seront liées aux options d’arbitrage entre l’Europe et l’Asie en fonction des saisons, en fonction notamment des capacités limitées de stockage de GNL et de gaz en Asie.

 

Rôle clé de Gazprom : quelle stratégie commerciale face à la menace du GNL ?

On l’a compris, la capacité de l’Europe à enlever cet excédent de production et la concurrence entre approvisionnement GNL et pipeline sera un facteur essentiel de détermination des futurs prix de marché en Europe.  Par contraste, la stratégie commerciale de Gazprom aura aussi un rôle primordial sur l’évolution du marché européen : la rente gazière est une fonction du couple prix/volume…

Gazprom est le principal fournisseur de bouclage de l’approvisionnement européen. Avec la réduction de la demande en Europe, la part de marché de Gazprom dans nos approvisionnements est passée de un quart à près d’un tiers. Alors, quelle place réelle avons-nous pour des alternatives d’approvisionnement en GNL ?

 

Il faut noter que Gazprom a aussi un surplus de capacité de production de base à faible coût (> 100 Bcm) qui s’est accru en raison d’investissements décidés préalablement (en particulier sur Yamal) et d’une plus forte concurrence des producteurs indépendants sur le marché russe. Le coût marginal de production et de livraison à la frontière de l’Europe reste très inférieur aux prix de marché : J. Henderson (OIES) donne par exemple une estimation de coût complet de l’ordre de 5,5 $/MBtu et de coût d’exploitation hors capital pour Yamal de seulement 3,5 $/MBtu.

 

Malgré ses positions publiques largement en faveur d’un certain statu quo dans les conditions de commercialisation du gaz (maintien des indexations pétrole et d’un niveau élevé de take-or-pay), Gazprom a en réalité accordé depuis 5 ans des concessions très importantes – mais temporaires ? – aux importateurs européens, soit par la négociation, soit suite à des procédures d’arbitrage : rabais rétroactifs, réduction ou report des take-or-pay (ToP), baisse de premium fixe (P0), baisse de pente des indexations pétrole (< 13% Brent), introduction de référence de prix de marchés sur les hubs (notamment pour le volumes flexibles). Combinées, ces adaptations contractuelles semblent montrer que les niveaux de prix d’approvisionnement sont dorénavant, en moyenne annuelle, proches des prix de marché sur les hubs européens.

 

Mais il est assez certain que les niveaux de prix actuels (~ 20 €/MWh ; ~ 6,5 $/MBtu) ne sont pas réellement satisfaisants du point de vue des producteurs. Il n’est dès lors pas surprenant de constater que les demandes de révision des clauses de prix des contrats de long terme (price re-opener) sont dorénavant initiées tant par les importateurs – qui continuent à souhaiter une part plus importante d’indexation sur les prix de marché pour dé-risquer leur position de fournisseur – que par les exportateurs – qui, suite à la chute du pétrole par rapport au gaz, souhaitent revenir sur les baisses de P0 accordées et semblent poursuivre une politique de contrôle de part de marché et de limitation de la concurrence par des niveaux de take-or-pay élevés.

 

Pourtant, dans une situation probable de bulle temporaire de GNL, le maintien d’une position rigide sur les take-or-pay présente le risque de faire chuter les prix du gaz, potentiellement jusqu’au niveau de compétitivité avec le charbon (niveau proche de 15 €/MWh). Ce qui serait dangereux tant pour les exportateurs (baisse de revenu) que pour les importateurs qui conserveraient une part significative d’indexation pétrole (avec à nouveau un squeeze de prix proche de 10 €/MWh si le Brent remonte au niveau des forwards actuels 65 $/bbl).

 

Indexations gaz : sur quelles références s’accorderont acheteurs et vendeurs ?

Une transition plus rapide vers des livraisons à prix spot en remplacement des indexations pétrole aurait l’avantage d’assainir le marché en lui donnant plus de transparence et en établissant définitivement le prix spot du gaz comme le juste prix.

 

Cette évolution ne serait pas nécessairement au désavantage des exportateurs car les acheteurs européens perdraient la faculté d’arbitrage entre les nominations d’enlèvement sur les contrats de long terme versus des achats marché aux hubs. Les producteurs comme Gazprom n’auraient plus à craindre les « sur-nominations » des importateurs par rapport à la demande prévisionnelle dans l’objectif supposé de faire baisser les prix aux hubs. Plutôt que d’agir indirectement sur les prix en restreignant les livraisons par rapport aux nominations reçues, les exportateurs pourraient même jouer de leur pouvoir de marché en contrôlant directement des livraisons de volumes sur les hubs.

 

Une telle rupture nous semble possible au niveau des approvisionnements européens. Elle pourrait même s’avérer nécessaire en cas de réelle bulle de GNL et de nécessité pour l’Europe de l’absorber.

 

Pour les autres marchés du GNL, il est toutefois plus réaliste qu’un panier d’indexations diversifiées – ou des indexations hybrides – continuera à être développé dans les contrats de moyen/long terme. Il sera intéressant de suivre l’émergence de nouvelles références en fonction de la maturation des marchés locaux, du développement des usages du gaz (production électricité, transport), mais aussi et surtout de l’évolution des indexations dans les contrats des acheteurs asiatiques avec le développement des indexations sur le Henry Hub, le NBP et/ou le TTF, et à terme sur des indices Asie pour le GNL spot (JKM, EAX, NEA…), voire de nouveaux marqueurs pour les prix du gaz si des hubs s’y développent.

 

L’avenir des modes de fixation des du prix du gaz n’a jamais été aussi incertain !

 

Au delà des indexations retenues, l’enjeu principal pour l’industrie gazière sera de maintenir des prix de marché suffisants pour encourager à terme de nouvelles productions (essentiellement GNL), avec un niveau requis « de confort » probablement supérieur à 10 $/MBtu.

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Unités : Bcm = Billion cubic meter (milliard de m3 = Gm3) ; MBtu = million de British thermal unit (également noté mmBtu) ; ACQ = Annual Contractual Quantity ; MCQ = Minimum Contractual Quantity ; ToP = take-or-pay

 

 

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